Le scientisme face à ses propres limites : l’argument d’Alvin Plantinga

Introduction – Quand la science est détournée de sa vocation

Le scientisme, cette croyance selon laquelle seule la science serait capable de produire des vérités, revient souvent dans les discours athées contemporains. Présenté comme une posture rationnelle, il prétend reléguer la foi au rang de superstition ou d’illusion affective. Mais cette prétention cache une faille logique majeure. Le philosophe chrétien Alvin Plantinga a montré que le scientisme, loin d’être une position fondée sur la science elle-même, repose sur un acte de foi non assumé – et se contredit dès qu’il cherche à se justifier. Cet argument puissant entre en résonance avec la tradition orthodoxe, notamment à travers la pensée de Saint Grégoire Palamas, qui nous rappelle que la vérité dépasse largement ce que les instruments peuvent mesurer.



Qui est Alvin Plantinga ?

Alvin Plantinga est un philosophe américain contemporain, reconnu comme l’un des penseurs les plus influents en philosophie de la religion. Issu de la tradition réformée calviniste, il a enseigné durant de longues années à l’Université de Notre-Dame (États-Unis), institution catholique prestigieuse. Cette trajectoire incarne déjà un dialogue fécond entre confessions chrétiennes, au service de la recherche de la vérité. Dans son ouvrage Where the Conflict Really Lies (2011), Plantinga défend une idée forte : non seulement la foi chrétienne est compatible avec la science, mais elle lui fournit même un fondement plus cohérent que le naturalisme athée.



L’argument de Plantinga – Une affirmation qui se détruit elle-même

Le cœur de son argument est d’une sobriété désarmante :

Si l’on affirme que seule la science permet de connaître la vérité, alors cette affirmation elle-même n’est pas scientifique. Elle ne peut être vérifiée par une expérience, ni formulée comme une hypothèse falsifiable, ni mesurée.

En d’autres termes, l’énoncé “seule la science produit des vérités” est un jugement philosophique, voire métaphysique. Il ne peut donc satisfaire le critère qu’il impose aux autres énoncés. Il est, selon les mots de Plantinga, autocontradictoire. Le scientisme échoue à se justifier selon ses propres règles. Ce n’est pas une position scientifique, mais une idéologie habillée de scientificité. Il s’agit d’une foi – mais d’une foi qui refuse de se reconnaître comme telle.





Une lumière orthodoxe : Saint Grégoire Palamas et les deux modes de connaissance

Dans la tradition orthodoxe, Saint Grégoire Palamas (XIVe siècle) offre un éclairage précieux sur cette limitation du scientisme. Dans ses Triades sur la prière hésychaste, il distingue deux types de connaissance :

  • La connaissance rationnelle, tournée vers le monde visible, fruit de l’intelligence discursive.
  • La connaissance spirituelle ou noétique, fruit de la purification intérieure, qui permet la communion avec Dieu à travers Ses énergies incréées.

La science appartient pleinement au premier registre. Elle explore la création divine, elle dévoile des lois, elle soigne, elle éclaire. Mais elle ne peut pénétrer le mystère de l’Être, ni atteindre Dieu en Son essence. Le scientisme, en réduisant la vérité à ce que l’on peut quantifier, ferme la porte au réel spirituel. Il nie la part la plus haute de l’homme, celle qui le rend capable de contempler la lumière divine.

Ainsi, l’argument de Plantinga et la théologie de Palamas convergent : la vérité ne se laisse pas enfermer dans les limites d’un laboratoire.



Science et foi : une harmonie, pas une guerre

Refuser le scientisme, ce n’est pas rejeter la science. C’est au contraire la remettre à sa juste place : celle d’un merveilleux outil pour lire la création, non d’un oracle censé dicter le sens de la vie. Dans la vision orthodoxe, science et foi sont complémentaires, non concurrentes :

La science répond au comment du monde créé : comment les planètes tournent, comment les cellules se divisent, comment les éléments interagissent.

La foi répond au pourquoi : pourquoi l’univers existe, pourquoi le bien a du prix, pourquoi l’homme cherche la vérité et la beauté.

Saint Jean Damascène écrivait que « la foi et la raison sont comme les deux ailes de l’âme s’élevant vers Dieu ». Le scientisme, en mutilant l’une de ces ailes, empêche l’envol.





Conclusion – Une vérité qui résiste aux instruments

L’argument de Plantinga conduit à un examen critique de certaines présuppositions modernes : peut-on raisonnablement soutenir que seul ce qui se mesure existe ? Une telle position revient à ignorer des dimensions essentielles de l’expérience humaine : la conscience, l’amour, la beauté, la liberté, ou encore la quête de sens. Ces réalités ne se laissent pas réduire à des équations, mais elles structurent profondément la vie.

Le scientisme, en revendiquant une exclusivité épistémologique, se prive de toute justification rationnelle cohérente. Il fonctionne comme une croyance non avouée, un postulat dogmatique dissimulé derrière une rhétorique scientifique.

Face à cela, la tradition chrétienne – et plus particulièrement la théologie orthodoxe – rappelle que la vérité est plus large que le domaine du mesurable. La science, précieuse pour comprendre les lois du monde, ne peut à elle seule en épuiser la signification. Entre contemplation, prière et raison, la connaissance véritable s’élargit bien au-delà du laboratoire.